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14/11/2009

André Breton, lettres à Aube

Lettres à Aube, André Breton, éd. Gallimard,2009.jpg     Gallimard vient de publier dans la collection blanche les "Lettres à Aube" qu'André Breton a envoyées des  années 30 aux années 60 à sa fille. Cette publication est le signe avant-coureur de la correspondance plus générale du poète du surréalisme que l'on verra publiée, probablement en plusieurs volumes, tant elle s'annonce profuse et variée, à partir de 2016 (conformément à ses volontés testamentaires, qui ne s'appliquaient pas à la correspondance détenue par sa femme et sa fille). Tout amateur du surréalisme ne peut que s'en enchanter. Car la vie du poète fait partie d'un ensemble uni indissolublement à son oeuvre, à son message général face à la vie et à la société, à la philosophie du surréalisme qui comme on sait n'est pas un mouvement limité à une esthétique, qu'elle soit plastique ou littéraire. Breton vivait au sein d'un faisceau de signes, d'évènements, de rencontres (importance, incroyable peut-être aux yeux d'un contemporain, de la place prise par la sociabilité dans ce qui ressort de cette correspondance... Les amis, la famille aimée, l'amour, que le poète ne cesse de réclamer autour de lui) qu'il assemblait dans une recherche attentive à en dégager les significations merveilleuses latentes.

Détail André Breton et Aube Elléouët en 1959-1960 à l'expo internationale du surréalisme à la Galerie cordier, p. William Klein.jpg
André Breton et sa fille Aube à sa droite, détail d'une photo de William Klein parue dans Vogue à l'occasion de l'exposition internationale du surréalisme, Eros, à la Galerie Cordier, 1959-1960

     Pour ne se cantonner qu'aux allusions à des sujets qui nous occupent plus particulièrement sur ce blog, les rapports à l'art brut, à l'art naïf et l'art populaire, on trouvera dans cette correspondance quelques notations intéressantes.

Miguel Hernandez, Portrait d'André Breton, 1952, vente Breton à Drouot en 2003.jpg
Miguel Hernandez, portrait d'André Breton, 1952 (extrait du catalogue de la vente Breton par Calmels-Cohen)

       Dans la lettre du 12 octobre 1948, Breton décrit à sa fille, alors âgée de treize ans, son projet d'Almanach de l'art brut (à noter qu'il ne fait aucune allusion à Dubuffet...): "Tu te demandes peut-être ce que ça peut être que l'art brut? Cela groupe tous les tableaux et objets que font quelquefois des gens qui ne sont pas artistes: par exemple un plombier-zingueur, un jardinier, un charcutier, un fou, etc. C'est extrêmement intéressant". "Des gens qui ne sont pas artistes", c'est à souligner, en ces temps où le terme d'artistes, appliqué aux créateurs de l'art brut, ne cesse plus d'être employé à tout va. En quatre lignes, ce père attentif à faire passer ce qu'il croit bon de faire apprécier à son enfant trouve les mots clairs et accessibles, résumant finalement assez bien le sujet pour un premier contact.

      Il faut attendre une dizaine d'années plus tard pour trouver dans une lettre du 16 juillet 1958 une autre allusion cette fois à son intérêt pour l'art naïf. "J'attends l'arrivée, par les soins du camionneur, d'une vingtaine de tableaux naïfs que j'ai prélevés dans la soupente de l'atelier rue Fontaine et qui me semblent devoir ici [ dans sa maison de Saint-Cirq-Lapopie dans le Lot] égayer un peu tous les murs." On se demande à quoi pouvaient ressembler ces tableaux. Certains ont-ils fait partie de la vente Breton en 2003 à Drouot? Cela serait plausible, quand on se rappelle (et le catalogue de la vente par Calmels-Cohen aide à s'en souvenir) le nombre de tableaux naïfs que collectionnait Breton, par des peintres connus, Ferdinand Desnos, Hector Hippolyte, André Demonchy, Miguel Vivancos, par exemple, ou  moins connus comme Alphonse Benquet, voire des peintres anonymes (le catalogue présente plusieurs oeuvres "d'auteurs non identifiés").

Naïf anonyme,anc. coll. André Breton,vente 2003 par Calmels-Cohen.jpg
"Auteur non identifié", titre "Le retiro", tableau naïf ayant appartenu à André Breton, Catalogue de la vente 2003 par Calmels-Cohen

       Breton s'est à maintes reprises passionné pour des autodidactes, comme son ouvrage Le surréalisme et la peinture le montre déjà abondamment. Une nouvelle preuve nous en est administrée à la page 121 de cette correspondance inédite (lettre du 11 septembre 1958 destinée à Aube et son mari Yves Elléouët). "Hier, avec Joyce et son mari, nous sommes allés voir ce vieux boulanger-sculpteur de Corbeil dont je crois vous avoir déjà parlé. J'ai ramené de lui un tableau ultra-naïf qui n'est pas sans charme." Eh bien, le "boulanger-sculpteur de Corbeil", ça ne vous rappelle rien, ô vous lecteurs fidèles et assidus de ce blog? Mais bon sang, c'est bien sûr, comme aurait dit le commissaire Bourrel, il s'agit là de Frédéric Séron une fois de plus! En 1958, tout le monde allait chez lui, Doisneau, J-H. Sainmont, Breton, Dumayet, Gilles Ehrmann, et même ce grand mondain frelaté qu'était Cocteau (qui avait acquis des sculptures de Séron pour sa propriété de Milly: toujours présentes?). J'aimerais bien savoir où est passée finalement ce "tableau ultra-naïf" que Breton eut la bonne idée de sauver en l'achetant... Est-ce un des tableaux étiquetés par Calmels-Cohen, "auteur non identifié", là encore (mais il ne semble pas, voir ci-dessous)? Wait and see... Qui dissipera le mystère? Pour en savoir plus sur les peintures que faisait Séron, à côté des statues qu'il avait mises dans son jardin, on se reportera au documentaire-interview de Pierre Dumayet mis en ligne sur le site de l'INA que j'ai déjà évoqué et mis en lien sur ce blog (voir ci-dessus, le nom Frédéric Séron). Deux tableaux y sont commentés, dont une "Chasse à courre" et une "Paix chez les animaux". Ultra-naïfs en effet... A noter cependant que les tableaux de Séron étaient signés à gauche en bas, selon ce que répond Séron lui-même à Dumayet dans l'interview. On devrait donc pouvoir facilement les identifier si on les retrouve...

Tableau de frédéric Séron, chasse à courre, extrait du documentaire de Pierre Dumayet, Ina.fr.jpg
Un des tableaux montrés pendant l'entretien avec Pierre Dumayet mis en ligne par l'INA, une chasse à courre, avec un parachutiste dans le ciel, souvenir de guerre de Séron ; on se rend un peu mieux compte ainsi de la manière "ultra-naïve" évoquée par André Breton

 

07/11/2009

Dictionnaire du Poignard Subtil

Poignard-gaulois-(Encyclopé.jpg

NAÏF:

     "Ce qui est beau dans "l'art naïf", ce n'est pas son innocence, c'est sa brutalité. La brutalité de son innocence, si l'on veut."
     Pierre Peuchmaurd, Le Pied à l'encrier, éd. Les Loups sont fâchés, 2009

06/11/2009

Une marine cruelle

     Curieux, curieux tableau acquis voici quelques années auprés d'un antiquaire de la Foire de la Bastille suite à l'indication de l'ami Philippe Lalane...

     Sur une mer où ne frise qu'une seule vague, un homme semble appeler à l'aide dans un geste alangui et grâcieux, bizarrement étant donné la meute des poissons, aussi affamés que des murènes, qui se jette sur lui avec voracité. Son corps est couvert de plaies sanguinolentes, et son sang commençe à teindre les flots bouillonnant autour de lui. Il ne paraît pas encore mort puisqu'il agite le bras (il a un côté Saint-Sébastien, je trouve)... Si l'on fait abstraction de ses persécuteurs aquatiques, on observe que son corps adopte la position d'un nageur de 100m dos!

L.Plé,tableau sans titre, peut-être XIXe siècle, coll.Bruno Montpied.jpg
L.Plé, sans titre, 22 x 33,5 cm, huile sur toile, XIXe siècle? Photo Bruno Montpied

     Au loin à droite, on aperçoit un trois-mâts battant pavillon français. Un canot approche, chargé de deux rameurs et d'un homme barbu debout les bras en l'air, dans un geste d'affolement face au spectacle qu'il découvre. L'ensemble de la scène fait penser aux ex-voto représentant des événements tragiques, bien qu'ici on ne trouve nulle invocation à un quelconque saint ou dieu. Le tableau est signé en bas à droite "L.Plé". Amusant du reste ce patronyme, je le note au passage, étant donné le nombre de...plaies sur le corps de la victime au premier plan. Je n'ai jusqu'à présent trouvé aucune référence à ce peintre dans les dictionnaires spécialisés en peinture naïve. L'enquête est donc ouverte.

25/10/2009

Frédéric Séron

     Retour vers le passé, ce sera l'incipit pour aujourd'hui.

     J'espère que l'INA ne m'en voudra pas de leur faire un peu de publicité en les mettant en lien avec mon modeste blog. Ainsi que de la mise en ligne de quelques photos capturées grâce à l'obligeance du camarade Jean-Jacques que je remercie hautement ici, et d'abord pour le renseignement précieux qu'il m'a fourni: sur le site de l'INA, on trouve depuis quelque temps, dans la rubrique "le journal de votre naissance", à la date du 25 octobre 1961, un reportage intitulé "Poésie pas morte" où l'on nous parle d'une exposition sur des oeuvres d'autodidactes (on reconnaît bien vite des photos de Gilles Ehrmann, qui était à cette date sur le point de publier son livre Les Inspirés et leurs demeures aux éditions du Temps, publié au 4e trimestre 1962 ).

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Image d'ouverture du reportage, 1961, ina.fr

    L'exposition n'est pas autrement décrite, ni située. Nous sommes dans un fragment de journal d'actualités (on le trouve à la 5e minute - à peu prés - du journal  qui parle aussi d'inondations au Japon, d'affrontements entre Wallons et Flamands, de refoulements par avions de manifestants "musulmans algériens" de la France vers l'Algérie, de Kroutchev et d'autres sujets de l'actualité de l'époque). Je n'ai pour l'instant pas trouvé d'ouvrages - notamment ceux qui ont été faits sur Gilles Ehrmann qui ne situent ses premières expositions qu'à partir de 1965... - qui puissent renseigner sur l'exposition en question. Qui est l'auteur du reportage? On ne nous le dit pas non plus.

Poésiepasmorte1.jpg
Frédéric Séron peignant l'effigie de Clémenceau, "le Père la Victoire", 1961, ina.fr
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Sirène au premier plan et Clémenceau au bout de l'allée, chez Frédéric Séron dans les années 50, photo extraite du livre de Gilles Ehrmann, Les inspirés et leurs demeures

      Toujours est-il qu'on voit tout à coup, après l'introduction d'usage qui est consacrée à des images de l'exposition, d'autres vues prises cette fois directement sur les sites des divers inspirés évoqués dans l'expo. Autant dire que sur ces créateurs-là les films ne courent pas les rues, et ce dernier reportage pourrait bien être l'un des seuls (1): on découvre ainsi, revenus du passé en pleine forme, leurs oeuvres encore toutes fraîches, Frédéric Séron et ses statues du Pressoir-Prompt (aujourd'hui  son jardin et sa maison ont semble-t-il disparu pour cause d'élargissement de la Nationale 7 qui les longeait dans l'Essonne), Raymond Isidore, dit Picassiette, en train de composer une mosaïque sur le sol devant sa petite maison, la paume de la main remplie de fragments d'assiettes, sa femme en train de coudre sur la machine que son mari avait également couverte de mosaïque, ou encore M. Marmin, le pépiniériste des Essarts en Vendée, qui avait taillé des animaux dans des arbustes sur une prairie prés de sa maison (le jeune homme qu'on voit tailler les arbustes est probablement un acteur, car Marmin photographié par Ehrmann n'a pas du tout la même apparence, ni le même âge...).

PicassietteJPEG, scène du Nouveau Testament en silhouettes blanches, Les J de l'AI, 1981.jpg
Picassiette, scène biblique, photogramme extraite des Jardins de l'art immédiat, Bruno Montpied, 1982

     Frédéric Séron est montré en train de  confectionner ses statues, disposant son ciment sur des armatures de fil de fer, badigeonnant une de ses statues dont le commentaire nous apprend fortuitement le nom (Un "Père la victoire" évoquant Georges Clémenceau, à qui l'on attribue la victoire de la Guerre 14-18), enfermant dans ses statues nous dit-on "sa carte de visite et le journal du jour".

      On peut continuer à fouiller dans les archives de cette INA ouverte (depuis peu, semble-t-il) à l'art brut du passé, et notamment prolonger la recherche sur Frédéric Séron, sur lequel il existe de rares documents écrits (2), surtout accessibles du grand public. On trouve sur leur site un autre document rare, nettement inconnu  des chercheurs jusqu'à présent à ce que je subodore... Une interview de Frédéric Séron par Pierre Dumayet dans Lectures pour tous du 25/03/1954 (production RTF). Après des vues sur les statues du jardin (c'est muet, pas la peine de vous exciter sur votre ordinateur!), au bout d'une minute et des poussières, tous deux causent familièrement assis au jardin en toute cordialité du travail de Séron et de son contenu ("Dites donc M. Séron c'est pas par hasard si on trouve une Porteuse de pain dans votre maison...", "Ben oui, j'ai été trente ans boulanger..."), tandis qu'en fond sonore dialoguent des poules fort glousseuses. Il y révèle qu'il enfermait dans ses statues toutes sortes de journaux, pas seulement dans la perspective comme le signale de son côté Ehrmann, de fabriquer des sortes d'âmes dans des boîtes, mais plutôt avec l'arrière-pensée de mêler sa propre identité à celles des hommes qui faisaient l'Histoire de son temps. Il y avait certainement dans cette démarche un peu d'un rituel magique naïf, écho de rituels païens plus anciens et oubliés. Certains de ses sujets y sont évoqués pour les modèles qui les ont inspirés (la patineuse, la danseuse, "L'Etoile polaire"...). Séron avoue dessiner ses sujets au préalable, il parle un peu de sa technique (des balles de la guerre de 14-18 servaient de crocs au lion de 100 kilos qu'enserrait un serpent et que l'on voyait en premier lorsqu'on découvrait le jardin dans les années 80).

SéronLesanimauxsurlegarage5.jpg
Frédéric Séron, le lion sur le toit du garage au Pressoir-Prompt, photo extraite du n° spécial "Art naïf" de la revue Phantômas (1956)

    On y voit aussi, chose rarissime, des images des tableaux naïfs que confectionnait Séron. Du reste, Ehrmann a photographié Séron dans son intérieur devant une magnifique fresque naïve peinte sur un des murs de son logis (c'est sans doute par ces tableaux naïfs que le critique de l'art naïf Anatole Jakovsky est venu lui aussi visiter Séron dans les années 50). Dans l'interview de Dumayet, Séron commente en direct deux de ses tableaux, dont une chasse à courre, qui est le support de souvenirs, de récits, notamment liés à la guerre de 14 dont on comprend que Séron, ancien combattant, avait été copieusement marqué. Le second, intitulé "La paix chez les animaux", paraît remarquable.

     Rien de mieux pour se faire une idée vivante et réelle du genre de personnage et du type de créateur que ce petit documentaire de 8 minutes... Allez... Tous à l'INA...!

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(1). J'ai fait quelques images en Super 8 sur ce qu'il restait du site de Frédéric Séron au Pressoir-Prompt en 1987, des statues verdâtres, d'autres enfouies sous les ifs qui en croissant les avait recouvertes, la maison fermée et inhabitée ; j'avais rencontré à l'époque un voisin qui nous avait confié, à moi et à Jean-Claude Pinel, qu'il avait conservé quelques sujets, peu importants semblait-il, et qu'il surveillait le devenir de la maison : peut-on espérer qu'au Pressoir-Prompt, on ait songé dès lors à sauvegarder à part quelques oeuvres de Séron? Mon petit film a été incorporé dans l'ensemble plus important qui s'intitule Les Jardins de l'art immédiat.

(2). On peut lire sur Séron outre le livre de Gilles Ehrmann déjà cité, le très bon livre de Charles Soubeyran, Les Révoltés du merveilleux, aux éditions Le Temps qu'il fait (2004), consacré à Ehrmann et à Robert Doisneau. Ces derniers ont tous les deux photographié Séron. Soubeyran donne des pistes bibliographiques par la même occasion, il rappelle l'article que Robert Giraud publia en 1950 (soit dix ans avant Ehrmann), "Etoiles noires de Paris: Frédéric Séron est le bon Dieu du paradis des animaux" dans Paris Presse-L'Intransigeant, article qu'illustraient deux photos de Doisneau. Ce dernier évoque lui-même Séron dans son livre de souvenirs, A l'Imparfait de l'objectif (p. 131, - et non pas p.73, M. Soubeyran... - éd. Belfond, 1989). Anatole Jakovsky a évoqué, quoique vraiment entre les lignes, la figure de Séron dans Les Peintres Naïfs (éd. La Bibliothèque des Arts, 1956). J'ajoute à cette bibliographie deux références que peu de gens ont dû repérer, je gage... Dans un n° spécial de la revue Phantômas, consacré à l'Art naïf (n°7/8, hiver 1956), revue dirigée par Marcel Havrenne, Théodore Koenig et Joseph Noiret à Bruxelles, on trouve quelques photos (voir ci-dessus, ci-dessous, et ci-contre) du site de Frédéric Séron, et notamment une photo du créateur en compagnie du mystérieux pataphysicien J-H. Sainmont que l'on aperçoit - anonymat, et peut-être supercherie, obligent - de dos seulement... Les commentaires des photos sont de Sainmont.Phantômasnuméro1504,1956.jpg Une autre référence encore par rapport à Séron: l'article de Ralph Messac, "Un ancien boulanger a fabriqué un paradis en ciment" dans L'Information n°1504 du 7 septembre 1955 qui dénombre à l'époque (Séron, né en 1878, disparaît en 1959) 90 statues. A Dumayet, passé en 1954, il en signalait 88, dont une en cours... Ces chiffres paraissent donc authentiques. En 1987, lors de mon passage j'en vis nettement moins...   

Phantômas2pagesArtNaïfSéron.jpg
Deux pages sur Séron (et Camille Renault) dans Phantômas n°1504, 1956

16/10/2009

Sur le fil, déviances textiles à la Maison Folie de Wazemmes

    Pascal Saumade et Barnabé Mons sont les deux commissaires de l'exposition "Sur le fil",  sous-titré "déviances textiles" qui a débuté le 10 octobre dernier à la Maison Folie de Wazemmes, quartier au sud-ouest de Lille, connu pour ses Géants de carnaval.Maison folie de Wazemmes, ancienne filature.jpg Cette Maison est une ancienne usine textile, lieu parfaitement adapté au projet de ces deux supporters de l'art modeste (Saumade collabore avec le MIAM de Sète) qui ont pris l'habitude depuis quelque temps de monter des expositions dans le Nord, notamment l'expo récente "Kitsch-Catch" qui évoquait l'univers du catch à travers l'imagerie populaire et l'art populaire contemporain, en particulier au Mexique. Peut-être cette recherche de proximité avec le Nord est-elle à mettre en relation avec le futur musée d'art brut et d'art moderne qui ouvrira l'année prochaine ses portes à Villeneuve-d'Ascq dans un bâtiment prolongé et rénové?Sur le fil, expo de la Gamelle Publique à la Maison Folie de Wazemmes, octobre, novembre 09.jpg

     Ces déviants textiles (je préfère le sous-titre au titre, qui a vraiment trop servi ici et là, c'est vraiment la métaphore évidente dès qu'on parle de textile) sont constitués de créateurs hétéroclites (art populaire, art brut, art contemporain, art outsider), et tant mieux, ayant pour point commun de travailler des matériaux textiles. Un hommage est particulièrement dressé à celui qu'on classe généralement parmi les Naïfs contemporains, auteur de nombreuses "tapisseries", fresques brodées, patchworks de pièces de tissus, Jacques Trovic qui habite dans le Nord justement et qui est actif depuis les années 50. A côté de lui, l'association La Gamelle Publique (association à l'origine du projet) a "rassemblé plus de 50 artistes d'univers et de nationalités divers au sein d'un parcours labyrinthique".

Jacques Trovic Hommage à Tintin, vers 1988.jpg
Jacques Trovic, Hommage à Tintin, extrait d'un livre publié aux éditions AREA en 1988 à Paris  
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Maison Folie Wazemmes. Expo du 10 octobre au 22 novembre 2009, ouverte du mercredi au samedi de 14h à 19h, dimanche de 10h à 19h, 70 rue des Sarrazins - 59000 Lille. T: + 33 (0)3 20 78 20 23
mfwazemmes@mairie-lille.fr
Accès : Métro Gambetta - Wazemmes (ligne 1) -  Montebello (ligne 2) 

04/10/2009

Recoins n°3

      Recoins n°3 est sorti avec les feuilles qui se ramassent à la pelle, ce qui ne sera pas son cas, car le numéro a belle allure, en constante amélioration. La revue concoctée à Clermont-Ferrand par Emmanuel Boussuge avec la collaboration d'émérites Auvergnats pur sucre (ou pure gentiane), qui ont pour noms Benoît Hické, Franck Fiat, François Puzenat, Colas Grollemund, Julie Girard, Bill Térébenthine, Bastien Contraire, etc., la revue s'est épaissie (70 pages contre les 58 des deux premiers numéros, ce qui explique aussi la petitesse des caractères, car il faut bien payer tant de matière, ne s'en étonneront que les nantis et les bourgeois, n'est-ce pas Ani la moule?), nourrie qu'elle est de substantifiques moelles. Comme d'habitude, art, belles-lettres et rock'n roll sont convoqués aux quatre (re)coins de la revue.

Recoins n°3,sept 2009.jpg
Numéro 3 de Recoins, 7 euros... 

     Au sommaire, outre quelques articles sur le rock des origines (que je suis d'un oeil en éveil - car il faut être bien étroit d'esprit pour ne pas voir qu'il y a là une source de créativité populaire largement sous-évaluée dans nos contrées, n'est-ce pas Caligula Vagula?), que les auteurs traitent dans le sillage des ouvrages parus chez Allia, comme par exemple celui de Nick Tosches intitulé "Héros oubliés du rock'n roll", plusieurs contributeurs :

      Tout d'abord votre serviteur (charité bien ordonnée commence par soi-même, n'est-ce pas?) intervient à propos du meunier Marcel Debord, dont l'environnement, à ce qu'avait révélé Jean-Luc Thuillier en 2007 dans son livre Arts et Singuliers de l'Art en Périgord, a été ravagé par la tempête en 1999, après avoir longtemps fait le plaisir des rares passants qui le connaissaient, car il fallait être curieux ou très bien renseigné pour tomber sur ce site à l'écart d'une route largement secondaire, à quelques encablures de Brantôme. Je l'avais visité en 1992 et ne m'étais pas résolu à en parler, son auteur étant infirme, fatigué (de fait il mourut en 1994). Recoins me permet aujourd'hui de renouer le fil avec cet homonyme d'un célèbre situationniste. Mon article est illustré d'une dizaine de photos, cherchant à faire le tour de cet environnement peu étudié et répertorié. 

Marcel Debord,autoportrait, ph.Bruno Montpied, 1992.jpg
Marcel Debord, autoportrait en meunier, photo Bruno Montpied, 1992

     Autres intervenants dans la revue, Anna Pravdova et Bertrand Schmitt y publient un texte instructif sur Jan Krizek, qui fut un sculpteur à la croisée des routes entre surréalisme et art brut. Leur article préfigure des développements ultérieurs, tant on sent qu'ils s'y retiennent d'en dire trop. "Jan Krizek, sculpter en deux dimensions" est un amuse-gueule, une amorce.Jan Krisek,Linogravure,n°13 sur 38, 1958, coll.privée, Paris, ph.Bruno Montpied.jpg On retrouve également Régis Gayraud qui publie trois textes dont un est connu de ceux qui fréquentent les archives de mon blog (suivez le lien ci-contre, paresseux!). Un homme qui porte le même patronyme que lui et prénommé Joël, et lui aussi un habitué de cette colonne blogueuse (qui n'est pas la colonne sèche que nous avions rêvée, vous en souvenez-vous, chers Gayraud?), dépose un texte de "souvenirs familiaux", "Mots de ventre, mots de coeur" où il est question de mots privés familiaux. Et là, je crie au scandale. Dis donc le père Jojo, t'aurais pu me demander mon avis, car ce texte m'avait été promis en 1988 (et bonjour pour le réchauffé)! Pour une enquête que je menais alors, que je mis je dois l'avouer en stand-by durant les vingt ans qui suivirent mais que je n'ai jamais désespéré d'achever et de publier un jour...! J'ose donc espérer que ce texte n'est ici produit qu'en pré-publication.

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Millange, une bourrée, publié dans Recoins n°3

     Du côté d'Emmanuel Boussuge, qui signe aussi parfois Eubée dans sa revue, on notera l'excellente et quasi exhaustive présentation du peintre naïf bien oublié, méconnu, Millange, dont il eut la révélation auprès d'une érudite cantalienne Odette Lapeyre (je l'ai rencontrée un jour  en sa compagnie, charmante vieille dame amoureuse de sa région du côté d'Antignac, elle renseigna Boussuge aussi sur le cas de François Aubert). Ce Millange, qu'Emmanuel qualifie de "peintre paysan", on pourrait tout à fait le qualifier d'Emile Guillaumin pictural. Comme ce dernier, qui fut on le sait un écrivain-paysan enrôlé sous la bannière des "écrivains prolétariens", il aimait à chanter les peines et les labeurs des champs, la vie rurale de son temps, le tout dans une palette vaporeuse qui confère une aura onirique à ses saynètes.

Millange,La Lettre de l'absent, Recoins n°3.jpg
Millange, La lettre de l'absent, publié dans Recoins n°3

Voici une impressionnante liste de librairies où on peut trouver Recoins n°3 à Paris : A la Halle Saint-Pierre bien sûr, mais aussi chez Libralire, dans le 11e, rue St-Maur, chez Bimbo Tower, passage St-Antoine (qui donne sur la rue de Charonne dans le 11e), à la galerie Nuitdencre, rue Jean-Pierre Timbaud (au 64), Un Regard moderne (rue Gît-le-Coeur dans le 6e), chez Parallèles, rue des Halles, chez Vendredi, rue des Martyrs, presqu'à l'angle avec le boulevard de Rochechouart, chez Atelier 9, dans la même rue mais un peu plus bas, chez Anima, avenue Ravignan, dans le 18e (la Butte Montmartre), au Monte-en-l'air, rue des Panoyaux (paraît-il), et également aussi à l'Atelier, la librairie qui se trouve en dessous du métro Jourdain, prés de la rue des Pyrénées (20e).

    D'autre part, oyez, oyez, demain lundi 5 octobre, à 19h30, dans  l'émission "Songs of praise" sur Aligre FM (93.1 à Paris), Emmanuel Boussuge, en compagnie du... sciapode, qui l'escortera fantomatiquement (car il devrait être question de rock'n roll et de musiques expérimentales et peu d'art brut, quoique... On devrait peut-être entendre, à cette occasion, un bout de la bande-son du film de Pierre et Renée Maunoury sur le créateur de l'art brut Pierre Jaïn), Emmanuel donc participera à l'émission hebdomadaire de cette émission vieille de vingt ans, pour présenter sa revue. Elle peut être captée par internet de partout in the world. Comme ça, si vous lisez cette note tardivement, vous pourrez encore vous rattraper.

     Sinon, on peut aussi s'abonner à la revue pour 29€ (4 numéros) en écrivant à Recoins, 13, rue Bergier, 63000 Clermont-Ferrand (e-mail: revuerecoins@yahoo.fr). 

15/07/2009

Anonymous Works, un nouveau lien

    Cette courte note veut vous engager à cliquer encore et toujours vers d'autres sites ou blogs où vous trouverez sûrement matière à rêvasser devant des découvertes captivantes ou surprenantes, tel ce blog d'Anonymous works, rédigé aux USA apparemment (Los Angelés) et que je mets dans mes doux liens à partir de ce jour (sous le titre, traduit, de "Travaux anonymes").

ArtpopaméricainAnonymWorks.JPG
Détail d'une statuette d'art populaire américain, cf. Anonymous Works
 
    Son auteur, qui signe "Joey" et paraît être un chineur invétéré, se consacre, selon ses propres mots (c'est bien sûr un anglophone), à "l'art populaire primitif américain, à la photographie vernaculaire, à l'art outsider, et basiquement à tout ce qui est visuellement intéressant et sublime"... Un vaste programme en somme, dont les résultats affichés ont créé en moi une réaction largement addictive. Il y a toujours du grain à moudre sur ce blog-là.

20/06/2009

Joseph Claret

     Passant par Bègles au musée de la création franche en juillet de l'année dernière, j'avais remarqué l'arrivée d'un petit nouveau sur les cimaises de la collection permanente. Joseph Claret, né en 1924, 85 ans aujourd'hui donc.... Deux toiles représentant des portraits de personnages sur des fonds unis, de la peinture de genre indubitablement classifiable dans un art naïf contemporain de très bonne facture. Ce qui nous prouve que l'art naïf est encore possible. Cependant il faudrait en voir plus. Si M. Claret (qui entra dans la police à trente ans ; comme un gendarme-poète? Ce ne serait pas la première fois que le cas existerait...) paraît à l'aise dans les portraits, ses scènes exotiques paraissent moins frappantes. La couleur est son grand plaisir en tout cas. Une exposition de son travail se tient au musée cet été, on pourra en apprendre davantage à cette occasion. Vernissage le vendredi 26 juin à partir de 18h. Expo du 26 juin au 6 septembre. Pour des renseignements pratiques, ainsi que d'ordre biographique, cliquez ICI et LA (sous ce deuxième clic, une très jolie scène de nu et de domptage...). Son oeuvre est représentée dans certains musées d'art naïf.

Joseph Claret,coll perm du musée de la création franche, ph. Bruno Montpied, 2008.jpg
Joseph Claret, coll. perm. du musée de la création franche, Bègles ; ph.B.Montpied, 2008
Joseph Claret, coll perm du musée de la création franche, ph.B.Montpied, 2008.jpg
[Portrait de femme], coll perm du musée de la création franche, ph.B.M. 2008
Joseph Claret, musée de la création franche, expo été 2009.jpg
L'Idole, 73x54 cm, 1986, huile sur bois, (portrait reproduit sur le carton d'invitation à l'exposition 2009 au musée de la CF)
Joseph Claret, Le peintre au paradis, 1999-2007, expo musée de la création franche, 2009.jpg
Le peintre au paradis, huile sur bois, 73x80 cm, 1999-2007 (une scène plus gentillette...)

23/05/2009

Armand Goupil, un peintre revenant

    On aura sans doute lu le récent commentaire d'un internaute, Charles Hamm, qui propose aux lecteurs de ce blog de se manifester auprés de lui pour envisager ensemble les possibilités de monter une exposition sur Armand Goupil. Il va sans dire que le Poignard Subtil s'associe à, et encourage ce genre de projet. Goupil est décidément un peintre qui ne nous laisse pas tranquille et qui revient sans cesse. Que nous veut-il? Mais nous parler encore et toujours par delà le néant...

Armand Goupil,sans titre,1960, ph.Bruno Montpied.jpg
Armand Goupil, sans titre, 5-XII-60, coll.B.Montpied

02/10/2008

L'inspiration au fond de la terre

   Décidément, la mine il n'y a rien de mieux pour susciter des vocations de peintre... On connaissait les peintres plus ou moins spirites comme Augustin Lesage, Joseph Crépin ou Victor Simon dans la région du Nord de la France (zone de Burbure, Arras, Béthune), dont certains comme Lesage travaillèrent dans les mines de charbon. L'exposition montée il y a quelques années à la Halle Saint-Pierre (en 2002-2003), par la surréaliste tchèque Alena Nadvornikova, sur l'art brut tel qu'on pouvait en découvrir des exemples en Bohème, en Moravie ou en Slovaquie avait révélé les peintres et dessinateurs médiumniques originaires de Silésie et du nord de la Moravie, contrées connues pour leur industrie lourde ou minière. Leurs oeuvres riches et délicatement tracées n'avaient rien à envier aux dessins médiumniques conservés à la Collection de l'Art Brut de Lausanne, où par la suite du reste elles furent exposées.

Erwin Sowka sur le site muzeum miejskie zabrze.jpg
Erwin Sowka, tableau reproduit sur le site Muzeum Miejskie Zabrze  

    Cela a donné visiblement des idées aux Polonais qui ont aussi une région de Silésie sur leur territoire de l'autre côté de la frontière avec la République Tchèque. Pourquoi ne pas baptiser du terme "art brut" les peintres mineurs de la région de Katowice?Erwin Sowka, Sainte-Barbara,extrait du site muzeum miejskie zabrze.jpg C'est ce qui se passe avec l'exposition "Des profondeurs à la lumière, art brut de Silésie" ouverte  depuis le 10 septembre et prévue pour durer jusqu'au 10 novembre 2008) au Musée de l'Hospice Comtesse à Lille (qui s'est déjà fait remarquer en montant naguère l'exposition "L’Homme-Paysage" en 2006-2007). Comme me l'a indiqué Gilles Manéro, à qui je dois l'information de cette exposition, malgré son sous-titre, on reste assez loin de l'art brut dans ce cas, et plus près de l'art naïf en réalité. Il s'agit pour les organisateurs d'un tour de passe-passe, les naïfs polonais de la région de Katowice, encouragés à l'époque du régime communiste, sont aujourd'hui quelque peu "plombés" par ce parrainage désormais honni dans des pays ralliés aux valeurs de l'ouest, où l'art brut est bien davantage à la mode.  L'art naïf, d'origine populaire, a représenté en effet à une époque, pour son malheur, un corpus d'oeuvres aisément embrigadables sous la bannière du réalisme socialiste. Comment laver cette tache "déshonorante"? Eh bien, par un coup de baguette magique, on maquille la plaque minéralogique, et ni vu ni connu, ce qui était hier art naïf devient art brut aujourd'hui!

     On me dira peut-être, mais vous l'avez vu cette expo au fait? Non, je ne l'ai pas vue (pas encore), mais je me suis un peu renseigné. La liste des artistes, tous travailleurs à la mine et appartenant à des groupes d'artistes mineurs (au sens d'ouvriers, et non pas d'artistes secondaires...), impressionnante (je cite en désordre Stefan Brom, Emil Brzezina, Ewald Gawlik, Ludwik Holesz -celui-ci pas loin de l'"art brut"-Ludwik Holesz extrait du site spscholka republika.jpg Jan Janiga, Marian Jedrzejewski, Teofil Ociepka -peintre très connu lui en Pologne et dans l'art naïf international- Léopold Wrobel -qui a sculpté le charbon, paraît-il - Pawel Wrobel, le cousin du précédent, assez connu lui aussi en Pologne, Marcin Pogrzzeba, Jozef Torka, Krzysztof Webs, etc.), cette liste laisse reconnaître certains créateurs comme Ociepka ou Wrobel, légèrement connus par ici, et classés depuis longtemps dans  l'art naïf. Jakovsky, dans son Dictionnaire des peintres naïfs du monde entier paru en 1976 chez Basilius-Presse à Bâle, a été d'ailleurs excessivement sévère avec Ociepka (1892-1978): "Ses sujets de prédilection sont la préhistoire et la science-fiction. Il se complaît à peindre des animaux disparus, ainsi que ceux qui n'ont jamais existé. C'est un aimable cauchemar, peint avec des couleurs d'un goût parfois douteux". Pour ce jugement sur les couleurs, selon un de nos amis peintres, lui-même proche de l'art naïf et par ailleurs connaisseur de l'art naïf polonais, Jean-Louis Cerisier, il y aurait beaucoup à redire. Si on doit se contenter d'en juger par les reproductions d'une qualité elle-même douteuse de certains ouvrages (j'emprunte les reproductions que je mets en ligne ici à un ouvrage polonais sur Ociepka d'Andrzej Banach, spécialiste de l'art populaire, édité par Wydawnictwo Arcady en 1988), les qualificatifs assassins de Jakosky paraissent fondés... Mais il paraît qu'il ne faut bien entendu pas se contenter de cela. Il faut nous montrer les tableaux d'Ociepka en France. Ses sources d'inspiration, la cryptozoologie et la science-fiction, me le rendent particulièrement sympathique personnellement. Le fait qu'il soit exposé à Lille est donc une excellente chose et une occasion d'en découvrir davantage sur lui au moins.

Ociepka, Gra morskich fal, 1951, extrait d'un livre d'Andrzej Banach de 1988.jpg
Teofil Ociepka, Gra morskich fal [un traducteur est demandé...], 70x100 cm, 1951 (intéressante, non, cette mer qui a des angles droits...?) ; extrait d'un livre sur Ociepka d'Andrzej Banach, 1988

      J'aime l'art naïf de qualité personnellement, et je ne pense pas être le seul. Je ne l'associe pas nécessairement à la propagande communiste, pas davantage que je n'associe l'art populaire aux tentatives de récupération nationaliste qui ont pu exister à différents moments de l'histoire (sous le régime de Vichy par exemple). On peut transmettre cet avis aux organisateurs de l'expo de l'Hospice Comtesse et à tous ceux qui se font des idées fausses sur l'art naïf. D'accord, il y a, il y a eu du mauvais art naïf, de l'art naïf "cucul", comme l'appelle justement le collectionneur d'art naïf Yankel (qui a fait une donation importante au musée de Noyers-sur-Serein dans l'Yonne comme on sait). Mais il y a aussi un art naïf de qualité, effectivement aux limites parfois de l'art brut. L'exposition qui va s'ouvrir au Musée Maillol sur Séraphine de Senlis (Séraphine Louis), pour accompagner la sortie du film "Séraphine" est là pour nous convaincre de ce fait, même si certains, comme Michel Thévoz, sont tentés d'annexer à l'art brut les bons créateurs de l'art naïf, histoire de vider cette catégorie de ses meilleurs éléments, et histoire de n'y laisser que les mièvres et les cuculs, pour confirmer les oukases de Dubuffet à l'égard des Naïfs.

affiche du film sur Seraphine Louis 2007.jpg

      Ce que j'aime dans l'art naïf, c'est quelque chose qui me paraît aujourd'hui très moderne, la capacité à mettre sur un même plan des objets venus de l'imaginaire et des objets venus du monde perçu. Comme un terrain où réel rétinien et réel intérieur se rencontreraient. Cela explique en particulier que le surréalisme ait accordé beaucoup d'importance aussi bien à l'art naïf qu'à l'art brut.  

24/09/2008

Connaissez-vous Claire Chauveau?

Cet article contient des mises à jour (de janvier 2020)...

 

    Je ne sais pas trop où il faudrait ranger les trois gravures que je mets ici en ligne. Art brut, naïf ou singulier, ou tout simplement inclassable, et séduisant, parlant à la délicatesse et à l'imagination.

    Je suis tombé sur ces gravures lors d'une de ces journées portes ouvertes improbables, où je ne vais généralement pas, de peur d'être rasé de près par les artisteuhs hyper narcissiques se croyant tous sortis de la cuisse de Jupiter parce qu'ils ont la bonne fortune d'étaler un peu de dégoulinade colorée avec plus ou moins d'inspiration et de maestria sur tous les supports de leur choix (allez, je ne vise, on l'aura compris que ce qu'on appelait autrefois les m'as-tu-vu ; a-t-on remarqué du reste à quel point on n'emploie plus ce mot, alors que la chose est pourtant si fréquente?). On m'avait mis au parfum, faut dire. Monelle Guillet et Joël Gayraud m'avaient signalé une "artiste" intéressante dans l'atelier d'un de leurs amis, André Elalouf.

Claire Chauveau, gravure aux chasseurs, vers 1995, ph.B.Montpied.jpg
Gravure, sans date, vers 1995 ; ph.B.Montpied

    Elle était sur les lieux, dans cet atelier de la rue Bichat dans  le 10e ardt, il y a déjà quelques années maintenant. Il était difficile de lui parler. Sa mère très présente à ses côtés répondait pour elle. Quelque chose commençait à se dire, mais la protectrice, sans doute inquiète, venait se superposer à ce discours qui ne parvenait pas à l'esquisse d'une formulation qui aurait eu peut-être - c'est l'impression toute subjective que j'en retirais - besoin de plus de temps pour se déployer.

Claire Chauveau, gravure aux hippocampes, vers 1995, ph.B.Montpied.jpg
Gravure sans titre, sans date, vers 1995 ; ph.B.M.

    En attendant (en attendant quoi?), j'acquis trois gravures où les sujets représentés distillaient une sensation de raffinement enfantin. C'était une scène de chasse avec hommes des bois avec fusil et arc. Plus une autre où l'on découvrait un avion à réaction larguant des bombes à côté, au-dessus, on ne savait trop, d'un Pégase géant (il me semblait reconnaître des souvenirs de mythologie gréco-latine), une chèvre attachée par le licol comme un appât pour un improbable tigre, un ange en robe, des arbres fragiles tentant vaille que vaille de croître dans le vide. Une troisième image représentait dans un médaillon central tout déchiqueté sur son pourtour une scène de chasse à la baleine, comme dans un dessin d'Inuit, avec des hippocampes, ces animaux démodés...

Claire Chauveau, gravure au Pégase, vers 1995, ph.B.Montpied.jpg
Gravure sans titre, sans date, vers 1995 ; ph.B.M.

     Je ne les ai jamais encadrés, jamais accrochés au mur chez moi. Je les garde dans un carton, où je vais les repêcher de temps à autre, les regardant avec reconnaissance pour leur grâce et leur finesse, leur simplicité raffinée. J'ai revu d'autres gravures de Claire Chauveau il y a quelques années à la Halle Saint-Pierre, dans l'espace pompeusement nommé "galerie" entre cafétaria et moignon de collection Max Fourny, au rez-de-chaussée. Le charme n'était plus le même, une certaine sophistication avait remplacé l'élan candide des départs. Comme si avait été conjurée l'immédiateté poétique, un peu étrange, hors-normes, des débuts... Mais peut-être n'est-ce là que suppositions et devrai-je faire place ici, plus tard, à un correctif...

 

Note du 14 janvier 2020 : Je reviens sur cette note de 2008 pour signaler le nom de l'animatrice de l'atelier de gravure de l'ADAC, rue des Arquebusiers dans le IIIe ardt (où, entre parenthèses, j'ai moi-même pratiqué de manière éphémère la typographie dans les années 1980), Mireille Baltar, qui accompagna, m'a-t-elle écrit ces jours-ci, Claire Chauveau dans ses travaux de gravure durant vingt ans, sans se préoccuper de ses coordonnées psychiques.

12/08/2008

Roy Louis, sans couronne

Note dédiée à Philippe Lalane
Louis Roy,sans titre, coll privée, ph.B.Montpied.jpg
Louis Roy, sans titre, huile sur toile, 46x55 cm, coll.privée, Paris, Photo Bruno Montpied

        Voici un tableau curieux et attachant retrouvé sur un vide-greniers il y a cinq ans. Route rose serpentant parmi des pelouses franchement vertes, sous l'oeil d'un chat et d'un chien énormes aux yeux vides ou dissymétriques, bizarrement de guingois (pour le félin surtout)... Le portail a été laissé entrebaillé, en arrière-plan derrière la maison, on aperçoit une volière. Les participants au convoi funèbre viennent-ils de sortir de cette maison? Le chat et le chien sont-ils sur le pas de la porte pour faire un dernier bout de conduite à leur maître? Les membres du cortège en tenue de deuil tiennent des mouchoirs pour essuyer les larmes. L'un d'eux tient une canne, un autre, unijambiste, marche avec des béquilles. Le peintre voulant accentuer le côté sombre de la cérémonie a peint le cortège, le corbillard, son cocher en un noir et blanc qui tranche sur la couleur du décor ambiant. Les visages sont blancs ainsi, donnant à ces personnages rangés deux par deux comme dans un cortège d'enfants des écoles, au reste dessinés d'une façon extrêmement stylisée et sommaire (ce qui leur donne un charme fragile qui me plaît beaucoup), une allure fantômatique et un peu sinistre. Le corbillard tiré par des chevaux (à quand remonte ce genre de véhicule ? Sûrement au début du XXe siècle, vu en outre l'allure de la voiture assez primitive qui emboutit l'arrière du corbillard) est heurté par un autre véhicule et le cercueil se renverse, s'ouvre, le mort surgit tout à coup, les bras ouverts, l'air tout à fait ragaillardi ma foi, peint en bleu, ce qui montre sa radicale différence avec ceux qui l'emmenaient à son dernier séjour... Comme si l'accident, traité à la manière des innombrables scènes peintes sur les ex-voto tels que ceux que l'on voit dans certaines églises, par un bouleversant effet paradoxal, l'avait ressuscité!

Louis-François Roy, portrait publié dans le livre d'Anatole Jakovsky, Les Peintres naïfs, 1976.jpg
Louis-François Roy (photo publiée dans Anatole Jakovsky, Dictionnaire des peintres naïfs du monde entier, éd. Basilius Press, Bâle, 1976)

        La signature, "Roy Louis", avec l'inversion malicieuse du patronyme et du prénom, sans doute pas faite au hasard, paraît être la même que celui du Louis-François Roy sur lequel on trouve une notice dans le livre d'Anatole Jakovsky, Peintres naïfs, dictionnaire des peintres naïfs du monde entier (éd. Basilius Press, Bâle, 1976). Anatole le signale comme né en 1891 à Niort dans les Deux Sèvres. Voici ce qu'il écrit sur lui: "Famille nombreuse, très pauvre. Va à l'école irrégulièrement, jusqu'à l'âge de 8 ans. Apprend le métier de tonnelier qu'il exercera jusqu'à l'âge de 70 ans. S'installe à son compte à Saint-Maixent (Ile de Ré [en réalité dans les Deux-Sèvres, voir commentaires reçus pour cette note]). Vit actuellement à La Rochelle. A commencé à peindre en 1962, en voulant remplacer une gravure sale et abîmée par le temps. Verve primesautière, jointe à un coloris très gai." Louis-F. Roy, ajoute son chroniqueur, avait exposé (en 1976, date du livre) dans une galerie Fontenoy à La Rochelle et à la galerie M.Bénézit, avec un catalogue à la clé qui comportait des préfaces de Max-Pol Fouchet et d'Anatole Jakovsky. Ce dernier paraît avoir également écrit sur lui dans un ouvrage que je n'ai pas pu voir, A.J., Ces Peintres de la Semaine des Sept Dimanches, éd. G.Borletti, Milan, 1969. Une peinture de ce même Roy est signalée comme faisant partie de la donation de Jakovsky au musée international d'art naïf de Nice (cf. son catalogue de 1982). J'ignore la date de son décés, hélas probable (s'il est encore parmi nous, il ne serait pas loin d'être le doyen des Français avec un âge culminant à 117 ans...). 

Louis Roy, détail d'un tableau sans titre (l'enterrement accidenté), sans date (années 60-70),coll privée, Paris, ph.B.Montpied.jpg
Louis Roy, détail du tableau, la teuf-teuf (spéciale dédicace à Régis Gayraud, le sagace commentateur)

20/05/2008

Abdelkader Rifi est parti lui aussi, on ne m'en avait rien dit

    En me baladant sur le net, cherchant tout autre chose en fait (comme d'habitude), je suis tombé sur la triste nouvelle, incidemment annoncée sur le blog du festival Art et Déchirure qui se tient en ce moment à Rouen (expo, films...), de la disparition d'Abdelkader Rifi. Cela fait déjà trois ans qu'il nous a quittés. Et cela faisait bien plus longtemps que je pensais à lui, de façon toute intermittente, comme on peut le faire à propos de tant de choses dans ce monde plein à ras bord de tant d'informations à la fois tristes et belles, tellement plein qu'on est parfois tenté, comme disait récemment un libraire de mes amis de tout laisser aller pour préférer se concentrer sur le vide... Oui, j'aurais dû... Pourquoi s'être livré à tant de procrastination (je crois que ça veut dire ça...) tant de temps...? Parce qu'on se figurait que peut-être, on aurait gêné à vouloir venir demander des nouvelles de la création que ce monsieur menait, très enfantine, très pimpante, colorée et gaie, l'affichant sur les murs de sa maison... Je l'avais du moins subodoré en entendant quelque racontar sur lui, sans doute infondé, mais qui avait fait son impression sur mon imagination.

    Et maintenant, devant la brutale nouvelle glanée au coin du bois virtuel, je suis bien sûr que je ne me rebaignerai plus deux fois dans le même fleuve, façon de parler, car les paroles qui sortaient de la bouche de Rifi, entrevu autrefois dans les locaux de Neuilly-sur-Marne au Château-Guérin vers 1984, tenaient davantage du ruisseau, mais qu'importe, les petites rivières font aussi bon usage pour les amateurs de vraie poésie.

    J'insère à la suite la petite notice recopiée du blog Art et Déchirure (curieusement au fait, ce blog porte le nom de José Pierre dans son adresse URL... sorte d'hommage?):

Abdelkader Rifi et sa femme, Gagny, photo provenant du blog d'Art et Déchirure.jpg
Photo extraite du blog Art et déchirure

"Rifi (1920 – 2005)

Né en 1920, Abdelkader Rifi a travaillé très jeune comme maçon. C’est au petit jour, avant de partir pour ses dix heures de travail quotidiennes, qu’il se mettait à peindre, composant à petits traits, à petits points, d’un pinceau unique trempé directement dans la couleur pure du tube et sur des matériaux divers : papier, carton, contreplaqué, portes de placard de récupération,…un monde paradisiaque. Fleurs et oiseaux multicolores, petits animaux, espèces végétales diverses, vasques et urnes naîtront ainsi des mains de cet artisan maghrébin. Parfois, ces jardins primordiaux s’engendrent à partir d’une nébuleuse spiralée faite de points polychromes qui impulse une dynamique tournoyante à ce microcosme symbolique. Dans la banlieue parisienne où il résidait [Gagny], Abdelkader Rifi, avait construit, au coeur d’un petit lopin de terre, une maison dont il avait décoré l’extérieur et l’intérieur à l’instar de ses dessins : oiseaux, plantes et fleurs en mortier peint pour en orner les façades ; grandes peintures sur papier pour en illuminer les pièces. “J’ai des jardins plein la tête “ disait-il d’un sourire radieux. "

   

14/01/2008

Yvonne Robert naïve à Carquefou brute à Lausanne

    Michel Leroux me signale une exposition d'Yvonne Robert à Carquefou, qui fait partie de la métropole du grand Nantes en Loire-Atlantique. Avec un tel nom  craquant au vent fou venu des profondeurs de l'océan pour vous emporter les idées noires, on aurait pu imaginer cette petite ville au bord de  la mer, eh bien c'est sur les bords de l'Erdre (cet affluent de la Loire, occulté à Nantes, comme la Bièvre à Paris, et à qui manque un M initial qui achèverait de l'amarrer inexorablement au père Ubu)...

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    Cela se passe du 6 au 20 février 2008 à l'Espace Culturel la Fleuriaye (renseignements: 02 28 22 24 40, courriel: culture@mairie-carquefou.fr). Yvonne Robert a commencé à faire grandement parler d'elle grâce à une petite étude de Guy Joussemet dans le fascicule n°14 de la Collection de l'Art Brut à Lausanne (édité en 1986). Elle peint depuis 1974 des saynètes de tous ordres se rapportant à une vie rurale qui paraît de plus en plus aujourd'hui s'éloigner de nous. Née en 1922, elle n'a pas quitté la Vendée où elle a connu une vie d'enfant difficile dans une famille où les parents se déchiraient Sa vie d'adulte a connu d'autres moments durs, avec des employeurs sans scrupules notamment, aussi des hommes qui l'ont brutalisée.

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    Guy Joussemet parle d'une peinture qui en 1986 semblait s'éloigner de débuts qualifiés plutôt de naïfs pour se diriger avec assurance vers une dimension nettement plus "brute". Cependant, avec le temps, il semble que cela apparaisse moins net et moins tranché. La production est désormais, trente-quatre ans après ses débuts (1974), vaste et multiple, parfois inégale. Les références à la végétation, aux animaux, à des scènes de tragédie banale telle que celle que je montre ci-dessous,

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Comme font les oiseaux Mélanie s'est cachée derrière son armoire pour mourir Victorien dit à Mélina je suis sûr que ta mère a ses sous dans l'armoire sous ses chemises Dépêche-toi les autres vont arriver... Peinture d'Yvonne Robert, 2002, coll.privée, Paris, photo B.Montpied

 montrent qu'Yvonne Robert ne se résout pas à se détacher complètement de la réalité telle que la perçoivent ses yeux. On n'assiste pas avec elle à une plongée griffonnante et débridée dans l'imaginaire et l'abstrait. Il semble que seuls quelques traitements affectant une partie de l'image puissent prendre un aspect "automatique" échappant au contrôle de la raison (l'étagement des divers plans dont la peintre ne sait rendre la perspective, par exemple, ce qui la conduit à inventer un autre mode d'expression et un autre langage, ce qui devrait faire taire les rieurs).

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    A Carquefou, elle est présentée comme artiste naïve, de ce fait sans doute. A Lausanne, c'est une autre chanson. A cheval (Ferdinand...) entre brut et naïf, Yvonne Robert? Personnellement, cela ne me dérange aucunement. L'enfance du regard est intact des deux côtés. 

(Les photos sans auteur mentionné proviennent du site de la mairie de Carquefou)

01/01/2008

Henri Boeuf, sculpteur naïf et maçon de la Creuse

    Je dois à Roland Nicoux, le tenace animateur de l'association des Maçons de la Creuse à Felletin, beaucoup de découvertes liées à l'art populaire. Cela remonte au temps où je partis en quête de la mémoire et de l'oeuvre de François Michaud à Masgot. Depuis quelque temps, il me parle d'un sculpteur naïf, appelé du joli nom d'Henri Boeuf, qu'un ami de leur association, Marc Prival, auteur d'un livre sur Les migrants de travail d'Auvergne et du Limousin au XXe siècle (1979), lui a fait connaître. De plus, voici qu'un article fort descriptif, dû à la plume de M.Jean Martin, vient de paraître dans le Bulletin de liaison n°11 des Maçons de la Creuse (juin 2007 ; le numéro contient aussi un dossier sur les croix de chemin de la Creuse). Article, il faut le dire, entièrement voué à une seule oeuvre d'Henri Boeuf, conservée aujourd'hui, suite à un legs du sculpteur, dans la mairie d'Auzances (à l'est du département de la Creuse, à une vingtaine de kilomètres du Puy-de-Dôme).

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    Henri Boeuf, né en 1902, est décédé en 1987. L'oeuvre en question, achevée en 1976, est un panneau de bois sculpté sur les deux faces, à raison de quatre scènes compartimentées sur chaque face, le tout mesurant 45 sur 155 cm .

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Henri Boeuf, le panneau sculpté, face avant, 1976 (toutes les photos présentées ici sont en provenance de Roland Nicoux)

    La face avant est consacrée à l'évocation des principaux temps forts de la vie de l'auteur (vie à la ferme, premiers chantiers de maçon, l'escalade des échelons de la vie professionnelle de simple maçon jusqu'au grade final de chef d'entreprise), la face arrière évoque pour sa part l'histoire des maçons de la Creuse, les monuments qu'ils contribuèrent à construire, le Panthéon et les Tuileries, leur grand homme, Martin Nadaud.

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Henri Boeuf, le panneau sculpté, face arrière (la roue est selon Jean Martin une Pendule à Salomon, un symbole du Compagnonnage)
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    Le style est naïf, on peut s'en rendre compte en détaillant les disproportions des personnages représentés, les perspectives étranges, les vues de haut (exemple la mare aux canards sur la face avant, voir ci-dessous) mélangées avec des vues de profil, etc...f0bd0d413d4dea40ea61269a0b5c6e70.jpg Le sculpteur paraît avoir accepté l'étiquette en outre. On s'en convainc en voyant l'image placée au bas de cette note qui le représente, probablement dans les années 70, au milieu de ses oeuvres (des statuettes, dont des Bretons en pantalons bouffants traditionnels et sabots, qui s'apparentent à certaines autres oeuvres du sculpteur finistérien Pierre Jaïn, créateur davantage que Boeuf aux lisières de l'art brut et de l'art populaire). Une affichette proclame au mur, bien en évidence: "Sculptures naïves de l'artiste auzançais Henri Boeuf". On se demande du reste ce qu'elles sont devenues aujourd'hui, ces statues...?

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Pour obtenir ce bulletin n°11: Les Maçons de la Creuse, 2, petite rue du clocher, 23500, Felletin, tél: 05 55 66 90 81 ou 05 55 66 86 37, fax:05 55 66 90 81, e-mail: contact@macons-creuse.com

  

24/12/2007

Prières de Noël, sainte nuit, douce nuit...

   En cette nuit de Noël, quelques minutes avant minuit, ses messes, son gros joufflu qui va encore aller s'encastrer dans les cheminées pour aider à faire tourner le grand marché, donnons une petite image faite d'après une peinture à la gouache d'un certain Armand Goupil signalé par un ami brocanteur, peinture (sur carton) photographiée sur le stand d'un autre broc, Jean-Philippe Reverdy, que je remercie très hautement ici. Cadeau de Noël!

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Armand Goupil, Tenue d'été, 1960, photo B.Montpied

02/12/2007

Joseph Laporte, un jeune tambour qui revenait de guerre...

      L'histoire de l'art naïf, minuscule branche de l'histoire de l'art pour l'art, ne retient pour son panégyrique perpétuel des grands hommes, à ses origines, que le fameux douanier Henri Rousseau. Au Poignard Subtil, je fais depuis un certain temps ma propre histoire de l'art qui n'a rien à voir avec celle de l'art pour l'art. Et je ne cesse de rencontrer des créateurs ayant pratiqué la peinture, l'architecture, la sculpture, la musique, etc., en soi, intimement, au coeur de la vie quotidienne. C'est ainsi que j'en viens de fil en aiguille à confectionner une histoire de l'art parallèle, celle de l'art immédiat, (celle de l'art de tous pour tous)...
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Joseph Laporte, Adieu Pays, adieu parents, j'espère ne pas vous revoir de longtemps; je pars sans effets, sans regrets et sans argent, n'ayant pas encore atteint mes treize ans..., dessin extrait de Mon Voyage en Egypte et en Syrie, autoportrait de l'auteur qui ouvre son récit.
     Au menu, ces derniers jours, une nouvelle révélation, venue d'il y a deux cents ans, rien que ça... Un soldat, un jeune tambour, parti à treize ans de Grenoble (où il naquit en 1780), pour rejoindre les rangs de l'armée de Bonaparte, et qui en fit partie neuf années durant (de 1793 à 1802) , pendant lesquelles il participa comme musicien aux campagnes d'Italie, puis comme sous-officier aux campagnes d'Egypte et de Syrie, gardant de cette dernière aventure un récit manuscrit, enrichi d'une trentaine de dessins naïfs magnifiques qui, déjà du seul point de vue de l'histoire, constituent en soi un fait rare (comme Jean Tulard le souligne, ce jeune soldat anticipait sur la photographie).
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Joseph Laporte, Bonaparte, monté sur son dromadaire, (...) arrivant aux portes de Gaza...
    Son nom, à ce qu'a reconstitué un expert en autographes, M.Jacques Arnna, est Joseph Laporte (il fut cymbalier plus que "tambour" à dire vrai, mais c'est joli, "tambour", et puis ça permet des calembours faciles: Laporte à tambour...). Le manuscrit, qui appartint à la collection de Dina Vierny (autre experte, cette fois en art naïf, entre autres, cf. ses Bauchant, Peyronnet, Vivin et autres Bombois conservés au musée Maillol à Paris), a été vendue en 1996 à Paris et a fini par atterrir dans la prestigieuse collection de livres de la fondation Martin Bodmer, présidée aujourd'hui par M.Jean Bonna, à Genève.
    Le titre de ce manuscrit illustré? Mon Voyage en Egypte et en Syrie. Il vient de paraître en fac-similé, édité conjointement par les Presses Universitaires de France et la Fondation Martin Bodmer (en novembre 2007).
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Editions Presses Universitaires de France et Fondation Martin Bodmer, dans toutes les bonnes librairies, 25€...
    Un journaliste du Point, François Dufay, dans un article récemment consacré à la parution de ce manuscrit (cf Le Point n°1835, du 15 novembre 2007), ainsi qu'à cette fondation Martin Bodmer dresse une énumération saisissante des trésors renfermés dans ce vénérable musée de l'écrit: 
    "C'est Osiris en personne, représenté sur un rouleau du « Livre des morts » égyptien, qui vous accueille au seuil de ce paradis ombreux. En suspension dans les vitrines blindées, les codex et autres in-folio semblent voler dans une nuit artificielle. Dans ce sanctuaire n'entra jamais nulle oeuvre de second plan, aucun texte qui ne soit original, rarissime, et fondamental pour l'histoire de l'humanité. Ainsi ce petit papyrus rédigé en grec : il s'agit d'une version de l'Evangile selon saint Jean datée des environs de l'an 200, sur laquelle se fondent toutes les éditions du Nouveau Testament. Plus ancien codex connu, il côtoie le premier livre imprimé au monde : la Bible de Gutenberg, si fraîche encore qu'elle semble à peine sortie des presses.
    Un peu plus loin, une calligraphie sur jade de la main d'un empereur de Chine se confronte au Coran et à «La divine comédie». Dans l'espace dévolu aux oeuvres modernes, l'édition originale du «Roi Lear» dialogue avec le «Faust» illustré par Delacroix. Long de 12 mètres, voici le sulfureux rouleau sur lequel Sade, embastillé, griffonna ses «Cent vingt journées de Sodome»."
    Ainsi le manuscrit de Sade voisine dans cette collection prestigieuse avec le manuscrit du jeune et simple tambour Joseph Laporte!...
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Joseph Laporte, Productions d'Asie et d'Afrique. Crocodille [sic] d'Egipte [re-sic]
    Le récit de ce tout jeune homme, effectué sans ratures (recopié peut-être aussi à partir de brouillons, et enrichi au passage d'informations prises probablement ailleurs, par exemple dans le Voyage dans la haute et la basse Egypte que publia Vivant Denon en 1802, lui aussi ayant été du voyage, mais cette fois du côté des savants embarqués par Bonaparte), son récit est écrit dans un style simple et direct, documenté parfois par les communiqués de guerre où Bonaparte relatait les combats de son armée à l'usage du gouvernement aussi bien que de ses propres soldats, dans un souci de leur expliquer les "mouvements et les engagements auxquels ils avaient participé" (dixit Jean Tulard). C'est que le jeune soldat se veut un mémorialiste soucieux d'exactitude. On le sent aussi fort admiratif à l'égard de Bonaparte, à l'exemple de tous les soldats qui servaient sous les ordres du petit caporal. On assiste ainsi à la formation du mythe tel qu'il se déploya dans les couches populaires de la société jusqu'à la fin du XIXe siècle.
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Joseph Laporte, Plan Visuel de la Ville de Gênes, La Superbe Capitale...  
    Les dessins naïfs de fort belle tenue du tambour et sous-officier Laporte attestent de son ingénu enthousiasme et d'une certaine pureté du regard, bien éloignés de l'esprit guerrier que l'on prête d'ordinaire à la soldatesque.
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Joseph Laporte, Cimetière Des Egiptiens Riches Et Pauvres [sic]
    A cet égard, il peut être utile de comparer ses dessins à celui de ce "sergent Louis Mathieu" qui vint après Laporte, vraisemblablement soldat pendant la guerre de conquête de l'Algérie, et qui peignit et dessina une mosquée qui le fascinait, peut-être la mosquée Sidi-Abdherramane à Alger, vers 1850, attestant de la fascination de l'homme du commun occidental pour la nouveauté des lieux découverts, fascination que l'on retrouve aussi bien chez un facteur Cheval rêvant sans bouger de chez lui sur les illustrations exotiques du Magasin Pittoresque, ou chez un abbé Fouré à Rothéneuf brodant ses sculptures de granit à partir de l'imagerie coloniale (la guerre des Boers).
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"Mathieu Louis, sergent"... Dessin naïf représentant vraisemblablement la mosquée Sidi-Abderrahmane à Alger (voir ci-dessous), coll.privée, Paris, ph.Bruno Montpied
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 *
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Joseph Laporte, autoportrait de l'auteur qui clôt le récit, en uniforme de l'armée de Bonaparte, se représentant lors de son retour à Grenoble en 1803 (à noter la disposition en méandres de la route se voulant à l'arrière-plan, et qui annonce les dispositions des routes de transhumance présentes dans la peinture naïve suisse des Poyas...) 
 

 

 

03/11/2007

Au banquet du bel art naïf, Alphonse Benquet

   On s'impatiente du côté d'une des deux branches de la famille Rassat (les descendants d'Alphonse Benquet), j'ai l'impression. On s'étonne qu'on n'ait pas entendu parler d'André Breton dans la famille. Il y a  des raisons à cela.

    Et pourtant... Il y eut un lien, par delà la mort de Benquet, un lien si fort que c'est un peu grâce à lui qu'on a envie aujourd'hui d'en apprendre davantage sur Alphonse, le "peintre-sculpteur" comme il aimait signer ses peintures (et ce d'autant que ces peintures sont fort attachantes). Un lien comme il en existe entre collectionneurs et artistes qui ne se connaissent pas mais se tendent cependant la main par-dessus l'espace et le temps.

   En effet, la vente de l'Atelier André Breton en 2005 à Drouot a fait resurgir trois peintures de notre homme, intitulées respectivement "Groupe d'enfants, place Gambetta à Tartas (Landes)", "Dans les Landes, concert dans la forêt" et "Facteur dans la grande lande". Tartas, c'est le bourg où vivait Alphonse Benquet.

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P.45 du catalogue de la vente chez Calmels-Cohen de la collection d'André Breton (2005), les trois tableaux de Benquet en vente

   J'avais déjà été intrigué dans le passé par ces peintures, mais où?... Et j'ai retrouvé des notes que j'avais prises, histoire de me souvenir, car le catalogue n'avait pas daigné nous en apprendre davantage sur lui, lors d'une exposition sur l'art naïf à la Halle Saint-Pierre, où étaient montrés des Benquet (deux peintures: une sans titre, ayant un rapport avec le thème de l'Angélus de Millet, tandis que l'autre était "Dans les Landes, concert dans la forêt", même titre que le tableau provenant de la collection Breton). L'exposition s'appelait "Peintres naïfs français, 1886-1960, de Rousseau à Demonchy" et était organisée à la Halle en 1994-1995 dans le cadre du musée Max Fourny qui, pour une fois, avait décidé de montrer de l'art naïf de qualité... Ces deux oeuvres, comme on peut l'apprendre en farfouillant sur internet sur la base Joconde ou à l'agence photo de la réunion des Musées Nationaux (voir tout en bas de cette note), sont conservées au musée de Grenoble (apparemment en plus d'une troisième intitulée "Naufrage"; cependant la notice de la base Joconde indique que "Dans les Landes, concert dans la forêt" aurait été acquise en 1981... Ce qui précise que cela ne peut pas être le même tableau que celui de la collection Breton vendu à Drouot en 2005, mais probablement une version alternative sur un même thème...).

   L'expo de la Halle Saint-Pierre indiquait comme date de naissance pour Alphonse Benquet 1857 et comme date de décés 1933, info puisée dans les bases de documentation du ministère de la culture (on la retrouve dans la base Joconde).

   1933... Une date fatidique.b126f25c5c4ebc9460b7dadbdc7590f3.jpg Breton descend chez  l'écrivain Lise Deharme (dont Breton était amoureux sans être payé de retour), à Montfort-en-Chalosse, dans les Landes, en même temps que Paul  et Nusch Eluard, Man Ray, en août 1935... Donc, Benquet est déjà mort, à 75 ans. Comment sais-je si c'est durant ce séjour que Breton acquit des peintures de Benquet -de même qu'Eluard, qui apparemment comme Breton s'en procura trois, mais les revendit dès 1938...- ? On ne le sait pas avec certitude. Mais on le devine (JE le devine...): en faisant un saut dans le temps, dans les années qui suivent la deuxième guerre mondiale (fruit de cette fatidique année 1933), au moment des débuts de l'Art Brut qu'invente alors Dubuffet, sans l'avoir encore trop cerné (période de l'Art Brut peut-être la plus riche et la plus libre), vers 1948... Dubuffet demande à Breton de l'aide, des relations, des créateurs qu'il pourrait intégrer à la collection qui commence à naître. Il a le projet avec Breton d'un Almanach de l'art brut, il bâtit un sommaire, des collaborations diverses et prestigieuses (Paulhan... Benjamin Péret sur Robert Tatin déjà...) paraissent acquises, Breton a promis des textes. Dubuffet lui demande au détour d'une lettre (consultable sur le site internet passionnant de l'Atelier André Breton), comme subrepticement: "Voyez-vous quelqu'un qui pourrait faire un article sur Benquet?"... Qui lui a parlé de ce dernier, si ce n'est Breton lui-même, se dit-on, comme il le fit avec Maisonneuve ou Scottie Wilson, Baya ou Hector Hippolyte? Breton propose probablement en réponse à la lettre de Dubuffet Lise Deharme qui se fend effectivement d'un texte. Malheureusement, le projet d'Almanach capote, en dépit du fait que le manuscrit était bouclé (pour des "raisons financières", selon Lucienne Peiry dans son livre sur L'Art Brut). Il dort aujourd'hui dans les archives de la collection de l'Art Brut à Lausanne. Une oeuvre de Benquet, appartenant à Breton, (Groupe d'enfants, place Gambetta à Tartas), est cependant exposée en 1949 à la Galerie René Drouin dans l'expo légendaire L'art brut préféré aux arts culturels (expo citée dans le catalogue de la vente de l'atelier d'André Breton chez Calmels-Cohen).

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Tartas est à l'ouest de Mont-de-Marsan, Montfort-en-Chalosse est juste en dessous...

    Voyant le nom de Lise Deharme au sommaire (publié ici et là) de cet Almanach, avec le nom du créateur sur qui elle écrivait, le fameux Benquet, mon sang ne fit qu'un tour, je comprenais à présent où et quand Breton, et Eluard, étaient sans doute tombés sur Benquet. J'écrivis à Lucienne Peiry pour demander la communication du texte (en 2003). Ce qu'elle accepta avec la meilleure des grâces (je la remercie ici une fois de plus). A la lecture de ce texte, consacré bizarrement à "J.D." Benquet (sans doute une erreur de mémoire), on se rapproche sans conteste au plus près du Benquet vivant... Voici le texte de Lise Deharme (que je suis autorisé à publier dans son intégralité par Lucienne Peiry) :

"  J.-D. BENQUET

   Il me souvient d'être entrée un jour, il y a de cela très longtemps, chez Séraphine Louis, à Senlis, sur l'appel d'un écriteau qui vous interdisait l'accès de sa demeure. Une veilleuse brûlait devant la photographie-icône de sa maîtresse défunte -car elle avait été servante.

   Rien de tel chez Benquet.

   C'était un orgueilleux petit septuagénaire à barbiche blanche, propriétaire d'une grande quincaillerie dans un village des Landes -exactement à Tartas.

   Absolument incompris à l'époque où nous nous rendîmes chez lui pour la première fois, il nous vendit avec tristesse un pot à lait. Comme nous l'interrogions, Paul DEHARME et moi, sur l'adresse d'un peintre présumé innocent et qui, en fait, s'était rendu coupable d'affreuses toiles, sa barbiche blanche se dressa de colère et il nous dit:

-Moi, je suis un peintre; comme Rembrandt.

   Il nous mena dans un immense grenier où il avait coutume de travailler. Il y avait là de belles armoires de chêne qu'il sculptait au couteau et d'où l'on voyait sortir en relief les têtes de ses parents -j'en possède une. Il y avait des toiles, pour la plupart inspirées de cartes postales, qui allaient de l'"Angélus" de Millet à un Panamorama [sic] de l'Exposition Universelle de 1900, en passant par des scènes régionales landaises: échassiers, boeufs à l'étable, la maison de St Vincent de Paul. Il y avait aussi des panneaux de bois sculptés, fort beaux, représentant, l'un Victor Hugo, l'autre un empereur romain, ou son grand-père, dont la longue barbe était traitée d'une manière extraordinaire. Dans l'ensemble, une quantité de toiles, presque toutes dans des cadres sculptés par lui. Nous remarquâmes également une certaine roue ovale, chef d'oeuvre de compagnon, qui fut achetée un peu plus tard par André BRETON.

   J.-D.BENQUET, né à Tartas le 23 septembre 1857, mort dans cette même ville en 1933, se mit à peindre vers l'âge de soixante ans. Charron de son métier, il avait quitté le pays natal à seize ans pour faire son Tour de France, en portant sur son dos ses outils dans un sac, ne mangeant pas tous les jours à sa faim. Puis, un an de service militaire à Bordeaux, et quatre ans d'Afrique. C'est là qu'il sculpta une grosse canne, que nous avons vue encore récemment, ornée d'une fort belle main aux doigts repliés, et de signes mystérieux probablement inspirés des Arabes.

   Revenu à Tartas, il achète une mule et s'en va de marché en marché, vendant des produits de toutes sortes. A force de travail il put enfin acheter sa quincaillerie.

   Il vécut là des années, pêchant, chassant, guettant l'arrivée des palombes dans de petites huttes construites près de la cime des arbres, tout en jouant de la guitare.

   En 1928-1929, quelques touristes anglais s'étant intéressés à sa peinture, il reprit la grande route, avec une poussette sur laquelle ses toiles étaient accrochées ; il se rendit ainsi à HOSSEGOR, s'installa sur la place, et réussit à vendre quelques tableaux. Puis il partit pour Paris, plaça son éventaire sur le pont de l'Alma, et ne vendit rien.

   Ainsi vécut BENQUET, vieil homme en béret basque et veston de satinette noire, qui croyait à son étoile et eût été heureux, mais certes pas surpris de se voir aujourd'hui à l'honneur.

    Lise DEHARME "

("J.-D.Benquet", par Lise Deharme, texte inédit prévu pour le numéro de juin 1948 de l'"Almanach de l'Art Brut", archives de la Collection de l'Art Brut de Lausanne).

    Donc, on comprend à présent qui "découvrit" véritablement en premier Alphonse Benquet. André Breton a dû trouver logique d'adresser Dubuffet à la personne qui avait le plus approché Benquet de son vivant, Lise Deharme. Bien sûr, il faudrait chercher des nouvelles des descendants de cette dernière, ce qui s'annonce plus difficile d'après mes premiers sondages. Mais peut-être vont-ils aussi sur internet comme Mme Jocelyne Rassat et M.Dominique Rassat qui sont entrés en contact avec moi suite à ma note sur la roue ovale dans "Un doux penchant"... Et qui sont distincts de l'autre monsieur Rassat (Jacques) qui a laissé un commentaire récent sur ce blog (ça fait donc deux arrière-petits-fils si je compte bien)...

     La roue ovale -et c'est une preuve de plus- Lise Deharme, comme Jacques Brunius dans son film Violons d'Ingres (1939 ; dans ce film précieux à plus d'un titre figurent aussi des images de peintures de Benquet, ainsi qu'un portrait photographique de Benquet coiffé d'un bérèt basque), Lise Deharme donc signale elle aussi qu'elle fut achetée par Breton et qu'elle est bien d'Alphonse Benquet (j'ai récemment écrit à L'Atelier d'André Breton, le site, pour leur demander de modifier en plus précis la légende apposée sur l'image du Mur de l'atelier Breton du Musée National d'Art Moderne à Beaubourg). Cette petite roue est  un chef d'oeuvre -cocasse!- de compagnon, là-dessus Gilles Ehrmann ne s'était pas trompé.

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Légende parue dans le livre de photographies faites vers 1966 par Gilles Ehrmann dans l'atelier d'André Breton, extraite (et agrandie) du livre 42, rue Fontaine, Adam Biro éditeur

    Peut-être fut-elle créée durant la jeunesse de son auteur, à la suite de son Tour de France. La date de 1878 donnée par Ehrmann est basée sur la date qui était inscrite sur la roue elle-même (on la voit dans le film lorsqu'elle tourne, projetée dans un champ). Benquet était donc un ancien charron, devenu ensuite quincailler (Brunius dans son film le signale quincailler dès "1875"). Il s'était peut-être mis à peindre et à sculpter à l'âge de la retraite (comme tant d'autres du continent des bruts et des populaires), si l'on suit l'âge de soixante ans fourni par Lise Deharme. On peut déduire que c'est plutôt vers  les années 1910 qu'il a dû commencer à créer des oeuvres d'art (et non pas vers 1875 comme c'est signalé dans certaines notices) et ce durant une quinzaine d'années jusqu'en 1933. Cela est confirmé par la date apposée sous un buste sculpté par lui, autoportrait qui est toujours conservé dans sa famille: 1919 (voir ci-dessous). Lise Deharme signale aussi qu'à la fin des années 20, il chercha à vendre ses peintures sur les marchés.

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Cet autoportrait d'Alphonse Benquet est inédit. Il appartient à la collection de Mme et M.Rassat
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"A.Benquet. Né en 1857. Sculpté par lui-même en 1919" (inscription sur le socle de l'autoportrait)

     Mme et M.Rassat m'ont appris qu'avait été montée une exposition Benquet à la Galerie Jeanne Bucher en  juin 1937. Animula Vagula a eu l'extrême amabilité de nous envoyer le fac-simile virtuel du carton d'invitation de l'exposition, imprimé en caractères manuscrits, document fort rare dont nous la remercions bien évidemment. Cependant, sur le site de la célèbre galerie, toujours en activité comme on sait, pouvait déjà se lire le texte de ce carton, mis en ligne depuis je ne sais quand...

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Carton d'invitation à l'exposition Benquet à la Galerie Jeanne Bucher, 1937 (j'ajouterai pour me moquer quelque peu de l'auteur ancien de ces lignes: Benquet se crut un grand peintre... et, "quelque part", il avait raison!)

    J'avais retrouvé de mon côté des traces de la préparation de cette exposition dans la correspondance qu'échangea Paul Eluard avec Gala Eluard (Paul Eluard, Lettres à Gala, 1924-1948, édition établie par Pierre Dreyfus, éd.Gallimard, 1984). Le poète écrit à son ex-dulcinée (elle est alors avec Dali) en avril 1937: "J'attends Mme Bucher qui veut me voir pour exposer Benquet. Peut-être pourrais-je en vendre, ce qui serait excellent" (p.277). Cette lettre avait été précédée d'une autre, écrite dans les premiers jours de septembre 1935 de retour de chez Lise Deharme à Montfort-en-Chalosse, après le séjour commun avec Breton et Man Ray, lettre où Eluard annonçait: "Dans le Midi, j'ai acheté des tableaux d'un peintre naïf de grande valeur, mort. Je vous ferai cadeau de l'un d'eux: L'angelus de Millet" (p.258). Comme dit Pierre Dreyfus qui a établi l'édition de cette correspondance, on sait l'importance de ce thème de l'Angélus traité par Millet sur quelqu'un comme Dali, et il est étonnant d'apprendre la contribution de l'obscur quincailler-charron-peintre-sculpteur Benquet à la paranoïa-critique de Salvador Dali!  A signaler au passage que Pierre Dreyfus dans une autre de ses notes donne des renseignements inexacts sur la date de naissance de Benquet puisqu'il la situe en 1861. Mais en même temps, il nous apprend qu'Eluard ne vendit apparemment pas ses tableaux à l'expo de Jeanne Bucher, mais un an plus tard, à Roland Penrose. Trois peintures de Benquet parmi tant d'autres d'auteurs à l'époque plus prestigieux partirent ainsi en Grande-Bretagne: leurs titres figurent dans le livre de Jean-Charles Gateau , Paul Eluard et la peinture surréaliste, Droz, 1982. Il s'agit de Le berger (peut-être le même qu'un autre tableau, montré à l'exposition du Centre Georges Pompidou sur Paul Eluard et ses amis peintres en 1982, mais qui était titré Dans les Landes, bergers tricotant et filant au rouet ; il est mentionné dans le catalogue de l'exposition), d'un "Portrait de Gambetta" et d'un "Paysage"... Une partie de la collection Penrose paraît avoir migré au musée d'Edimbourg à présent en Ecosse... A suivre...

    Si Eluard a acquis des oeuvres de Benquet durant son séjour chez Lise Deharme, il paraît évident que c'est à cette occasion que Breton en acquit parallèlement, en même temps que la roue ovale... Non? L'édition de la correspondance de Breton (En 2016? Faut encore pas mal attendre...) nous l'apprendra sans doute de façon définitive. Mais Le Poignard Subtil sur ce point aura fait gagner quelques années d'avance aux amateurs...!

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   Enfin, je signale pour clore provisoirement cette note-fleuve (y a-t-il encore du monde qui me suit?), qu'il existe un "Intérieur landais" dans les collections du défunt musée des ATP, rebaptisé MuCEM, et en cours de déménagement et transfert à Marseille pour être relogé dans un nouveau bâtiment dont on se demande s'il va voir enfin le jour (ce qui est préoccupant, étant donné l'importance et la richesse des collections artistiques et ethnologiques du musée national des Arts et Traditions Populaires). On peut en voir une reproduction sur ce lien.

   A suivre, certainement... 

 

01/08/2007

Le plafond merveilleux de Cheylade: MASSIF EXCENTRAL (2)

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    Pour atteindre Cheylade, où l'on vient de loin pour voir un plafond d'église, on passe, venant de Murat (le voyage se déroule dans le Cantal), au large d'une zone bien désertique, ondulant sans un arbre, sans un buisson, tendre pâturage idéal sous le ciel, ce jour, bleu, paysage qui a pour nom Plateau du Limon (c'est une des coulées de lave de l'ancien volcan dont la bouche principale, nous assure-t-on (Voir le Guide de l'Auvergne Mystérieuse d'Annette Lauras-Pourrat) , se trouvait au Puy Griou (ce volcan a coulé en étoile, en soleil... On s'en convainc quand on vient du ciel).

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 On laisse le plateau magnifique et lunaire (une Lune qui serait verte) à gauche, on ne s'y arrête pas, on n'est pas venu pour lui, et pourtant c'est une révélation qu'on emportera avec soi et qui reviendra nous hanter au fond de notre ville striée de pluie et de nuit.

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(Photo B.Montpied)

     C'est l'intervalle délicieux qu'il faut pour faire le vide avant la découverte du plafond merveilleux de l'église Saint-Léger de Cheylade

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   Eglise qui a été classée monument historique en 1963,"la décoration de la voûte [ayant été] l'élément essentiel qui a motivé le classement", dixit l'Association Valrhue qui a écrit la plaquette "Eglise Saint-Léger de Cheylade" pour les éditions Créer (dont j'ai extrait ici plusieurs photos, notamment les premières en tête de note). On notera au passage que les classements d'églises sont plus rapides que ceux des environnements spontanés...

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(Photo B.Montpied)

     Des fleurs partout, comme s'il en pleuvait, poussées au ciel. Des fleurs, des animaux, des couteaux (sans doute des poignards subtils)... Des symboles bien sûr mais aussi des images profanes.

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Images (ci-dessus au centre et ci-dessous à gauche et à droite, puis en dessous...) extraites du livre de l'association Valrhue
 
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     On trouve des têtes de mort aussi avec des tibias entrecroisés comme sur des drapeaux de pirates, des animaux fantastiques (le basilicc5df446b360b1257b7141769e1eaa9eb.jpg, un oiseau à deux têtes, une Gorgone...), des serpents, mais des anges aussi bien entendu, des coeurs, enflammés ou sur la main... Un tabernacle, des écussons... Comme un déluge  d'images (elle sont au nombre de 1360, peintes sur autant de caissons), voulant instruire les fidèles de la magnificence de la création divine, de sa variété infinie, du langage symbolique permettant d'accéder à la reconnaissance de ce Dieu si puissant...c37d9db1f4c704d15ba0aa9228c599a9.jpg

     "A l'instar de la sculpture médiévale où la flore naturelle côtoie une végétation stylisée, créée par l'imagination à partir de certains modèles, le peintre de l'église de Cheylade utilise ce même élan d'inspiration dans ses représentations florales." (Pascale Bulit-Werner et Gérard Bulit, Association Valrhue).

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    On doit au respect des architectures religieuses la préservation de tels vestiges (de même qu'on doit à l'oubli dans lequel tombent souvent les lieux souterrains la préservation d'autres témoignages d'art naïf, je pense par exemple au "graffito" naïf relevé dans les carrières de Saint-Savinien en Charente-Maritime, que Michel Valière a signalé sur son blog Belvert ces jours-ci... Mais il y a d'autres exemples, j'y reviendrai). Les auteurs du livre sur l'église St-Léger mentionnent que "tous les auteurs du XIXe siècle" se sont accordés sur la date de 1743 pour la date de création de ces 1360 petites peintures, parce qu'une inscription "finis opus 1743" aurait été vue sur un caisson au fond de l'église côté nord, caisson qui aurait été ensuite caché par la construction d'une tour qui l'aurait recouvert...

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(photo B.M.)

     On ne sait pas grand chose de l'auteur de ces peintures, c'est un peu du reste toujours la même chanson avec ces rares vestiges de peinture populaire ancienne (qui nous montre que le Douanier Rousseau n'est bien sûr pas le premier peintre naïf, seulement le premier peintre d'une catégorie nouvelle de l'Art Naïf).

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(Photo Association Valrhue)

    La mémoire populaire garde l'hypothèse que ce serait un artiste italien, "aujourd'hui non encore identifié", de passage dans la région, qui aurait réalisé la peinture des voûtes. Ce genre d'improbables indices sur la personnalité de créateurs restés dans l'ombre fait penser au Déserteur qu'a évoqué Giono dans une fameuse nouvelle, ou à l'auteur inconnu des boiseries naïves en provenance d'une maison patricienne de Jettingen peintes vers 1840 et conservées  au Musée Historique de Mulhouse (là, on parlait d'un peintre "peut-être tzigane, ou russe (ou russe tzigane?)", nomade louant ses talents de peintre amateur à qui en avait besoin ; Giono lui dans son récit brode à l'envi sur les corporations méridionales de peintres ambulants d'ex-voto, et c'est vrai que cela fait rêver ces chemineaux peinturlureurs, la boîte de couleurs sur le dos, le quignon de pain et la tome de fromage, le litron peut-être en sus dans la besace...)

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07/07/2007

Les Nefs des Fous

   Que nos confrères de Belvert et d'Animula nous pardonnent (ça commence comme une prière), mais nous allons devoir leur repomper (pour le premier) et pomper (pour la seconde) certaines images d'esquifs qui traînent dans leurs colonnes (en y ajoutant cependant nos forts grains de sel).

    Notre excuse est d'avoir initié la confrontation bateaux pop/bateaux bruts (sur Belvert, s'entend, et en fournissant déjà les photos), du temps où nous hésitions encore à franchir le Rubicon de la création de blog.

    Nous voudrions maintenant réaliser un petit rassemblement des objets maritimes en question, des bateaux, sur une SEULE page, bien persuadé que le thème contient sûrement d'autres éléments à verser au dossier, mais en permettant aux amateurs de s'instruire des différences à relever, des parallèlismes, de la plus ou moins grande dose de fantaisie appliquée à ces diverses rêveries flottantes: 

Pour commencer, une maquette de bateau anonyme photographié dans le département "Marine populaire" du musée rural des arts populaires de Laduz:

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Puis un bateau sculpté par un créateur rangé dans l'art brut, Auguste Forestier, intitulé "Le Myra" (ancienne collection Docteur Ferdière, photo 1990: Bruno Montpied):
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Restons dans l'art brut en ajoutant ce bateau de Carlo M. (à ne pas confondre avec Carlo Zinelli). Sa maquette s'appelle "Le sozialist" et fait partie des collections du musée de la Waldau près de Berne (photo Paul F.Talman). Nous l'avons extraite du catalogue de l'exposition de 1996 au Centre Culturel Suisse à Paris, "Le Dernier Continent, ou la Waldau, asile de l'art": 
 
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 A présent de l'art fait en prison par un certain Agostini ("fait à la prison St-Paul en 1936", dixit  Animula Vagula qui l'a récemment remis en lumière en allant dénicher sa reproduction dans un vieux numéro de magazine):
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Cela n'est pas loin de Carlo M., non? Peut-être dans une variante plus rigolarde...
Ce qui nous amène à une veine plus enfantine, une poterie populaire trouvée sur la base Joconde (photo Philippe Motte, Zoom Studio) et qui appartient au musée du Berry à Bourges (le même musée qui héberge des Pierre Petit mais ne les montre jamais...). C'est une arche de Noé dûe aux potiers Jean Lerat et Armand Bedu (second quart du XXe siècle):
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Puis, pour ne pas quitter le cher André Bindler (voir note précédente), voici le bateau que le catalogue "Un Art autre, un autre art" (expo organisée par Traces+Signes Sundgau en 1982 à Altkirch en Alsace, présentait, en précisant que sa coque avait été taillée avec la technique du sabotier:
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Art naïf?
Et que penser alors de ce brave Claude Poulllaouec, natif de Plougonvelin dans le Finistère posant devant les escadres anglaises au cours d'un passage en rade de Brest  qu'il a si poétiquement représentées dans les années 1900 (une inscription parle de 1905), et dont, semble-t-il, il ne reste comme traces que d'anciennes et rares cartes postales, du type de celle que je présente ci-dessous?
J'avoue avoir une toute particulière prédilection pour ce type de peinture. Qu'est-elle devenue hélas...:
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Je dois marquer ma gratitude une fois de plus à la collection Humbert du musée de Laduz ainsi qu'à Marie-José Drogou à qui je dois la découverte de Poullaouec dont quelques cartes (il semble qu'il y ait quatre cartes différentes sur ce créateur) sont présentées dans leur département de sculpture populaire.
Agrandissons son coin inférieur droit, on y reconnait le fort Berthomme (avec à côté peut-être la propre maison de Poullaouec, à Trez-Hir, un lieu-dit de par là-bas?), le phare de la Pointe Saint-Mathieu...
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Pour finir, un dernier hommage à ce musée en concluant sur les bateaux en bouteille qu'il ne faudrait pas oublier de citer dans un rassemblement de corpus comme celui que nous tentons ici:
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23/06/2007

Un dialogue: René Rimbert-Marcel Gromaire

"...Dans les paysages de Rimbert il y a quelque chose du calme de la nature ; on dirait qu'il a juré de rivaliser avec le silence de la matière... Max Jacob

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René Rimbert, L'art et la vie, Musée du Vieux-Château, Laval (publié dans Ecrivains et artistes postiers du monde de Josette Rasle, éd. Cercle d'Art, 1997)

    Le Musée International d'Art Naïf Anatole Jakovsky (Château Sainte-Hélène, avenue de Fabron à Nice, tél: 04 93 71 78 33), dans la continuité de ses expositions de l'été 2006 qui s'intitulait "En quête de paternité: Art Naïf-Art Moderne", et de 2003 ("Têtes à têtes", rencontre entre art brut, neuve invention et art naïf) propose cette fois un dialogue entre René Rimbert et Marcel Gromaire.7d18e277f6c1a14e3b083b2bd5819eac.jpg (Sur l'image ci-contre, Gromaire est en haut bien sûr, Rimbert en dessous)

  C'est dire que dans ce musée on s'intéresse fort aux confrontations non partisanes entre arts d'avant-garde et arts d'autodidacte et que cela ne date pas d'aujourd'hui (afin de sacrifier à je ne sais quelle mode).

   Au fait, Rimbert, "autodidacte"? Il était parvenu à un tel métier qu'on a bien souvent été tenté de le ranger plutôt du côté des artistes professionnels que du côté des Naïfs (ce qui est bien entendu injuste, pourquoi un naïf, c'est valable aussi bien pour un brut, dès qu'il aurait du génie, cesserait dès lors d'être naïf, ou d'être brut?). 

   Cela fait déjà un certain temps que le musée Jakovsky, et sa conservatrice Anne Devroye-Stilz, interroge avec des moyens limités certes mais avec audace les frontières existant entre différentes catégories de l'histoire de l'art que certains rêveraient de voir plus fermées (limiter le flux aux frontières, c'est hélas à la mode par les temps qui courent). On se souvient de l'exposition "Les Magiciens de la mer" en 2000 qui tentait, timidement (voir la critique que j'ai publiée dessus dans Création Franche n°19), d'établir des ponts entre art populaire de marine, art naïf, art brut, et art singulier. Il y eut aussi en 1998 "Séraphine, Aloïse, Boix-Vives, aux frontières de l'Art Naïf et de l'Art Brut" (expo réalisée avec le concours de Jean-Dominique Jacquemond).

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René Rimbert, Synchromie argenteuillaise en bleu majeur, 1976    

   C'est l'occasion pour le public de découvrir des voisinages inattendus entre des oeuvres peu montrées sur les cimaises. Cette fois, le musée de Nice creuse la relation Rimbert-Gromaire. Si l'on reconnaît d'habitude davantage le rôle de Max Jacob dans la découverte de Rimbert en 1924  par le biais de la Galerie Percier où il l'avait recommandé, on ignore en effet que c'est d'abord Gromaire qui l'avait encouragé après l'avoir remarqué au Salon des Indépendants de 1920. On a oublié également, si on l'a jamais su, que ce dernier avait peut-être été prédisposé à goûter l'oeuvre d'un Rimbert par le souvenir et l'attachement qu'il éprouvait pour sa grand-mère maternelle Reine Mary-Bisiaux (née en 1840 et décédée en 1929), peintre "primitive" et naïve sur laquelle, après sa disparition, il écrivit un petit livre de souvenirs La Vie et l'oeuvre de Reine Mary-Bisiaux (éd. Marcel Seheur, 1931)

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   Sur Rimbert et ses lumières à la Vermeer, ses ambiances "métaphysiques" à la Chirico, on trouve ici ou là divers ouvrages qui ont traité de son oeuvre, notamment le catalogue qui lui fut consacré par la Galerie Dina Vierny en 1983-1984, d'où j'extrais ces lignes de Pierre Guénégan, :

  " Je m'approchais, et je crois maintenant en revivant ces instants que je fus frappé par une immense tranquillité, une tranquillité pleine de richesse ; la luminosité très particulière des couleurs, accentuait poétiquement les formes des façades, un homme qui partait, une silhouette frémissante. La peinture en trois dimensions, une quiétude apparente, mais en même temps ces moitiés d'êtres vivants donnaient une échelle qui tout en créant de la profondeur nous permettaient d'entrer dans la toile pour nous y promener. Par le contraste singulier des couleurs, les vieux murs parlaient, le chat assis au coin d'une rue réfléchissait. Je sortis étonné, ébloui, tant et si bien qu'une fois dans la rue je me rendis compte que je ne savais même pas le nom de l'artiste qui avait peint de telles oeuvres."

(La photo de la "Synchromie argenteuillaise..." de 1976 a été extraite du site du Musée critique de la Sorbonne. Ce site fort intéressant,  se consacre apparemment à mettre en ligne des interprétations critiques de différents tableaux de l'histoire de l'art)

10/06/2007

Sur la route, François Michaud

            Cet été, allez donc dans le Massif Central, dans le Limousin, c'est un massif d'inspirés et d'actualité (l'Abbaye de Beaulieu dans le Rouergue, Saint-Alban de Limagnole en Margeride avec l'expo Les Chemins de l'Art Brut(6) ), décidément, il va falloir que je songe à me tailler une place dans le secteur  tourisme et art populaire d'une quelconque Maison de l'Auvergne...
            Sans compter qu'il existe tout plein de lieux aussi qui n'ont pas attendu d'être sous les feux de l'actualité pour faire parler d'eux. Comme par exemple Masgot. Ca fait plus de 150 ans que ce hameau vous attend...
 
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         Tailleur de pierre de métier et sculpteur autodidacte à ses loisirs, Michaud a vécu de 1810 à 1890. Il paraît avoir commencé à décorer son petit village de Masgot  (commune de Fransèches dans la Creuse, non loin du Moutier d'Ahun) dans les années 1850-1860 (la datation se basant sur les personnages ou les thèmes abordés).
 
 
 
 
(Ci-dessous, la deuxième maison de Michaud avec Napoléon, la femme nue sur la clôture, Jules Grévy, Marianne...)
 
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             Plusieurs statues dues à son désir de manifester ses convictions tour à tour bonapartistes et républicaines, déistes et anticléricales sont demeurées dans ce village de cette époque jusqu'à nous, faisant de ce site l'environnement populaire spontané le plus ancien que nous ayons en France (bien avant le Palais Idéal du facteur Cheval ou les rochers sculptés de l'abbé Fouré à Rothéneuf), si l'on met de côté provisoirement la Cave Sculptée des Mousseaux à Dénezé-sous-Doué dans le Maine-et-Loire (qui serait du XVIIe siècle et dont on ne connaît pas très bien les auteurs).
 
 
 
 
 
 
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            On peut encore voir actuellement, autour de ses anciens domiciles, des effigies de Napoléon, celles d'un moine, d'une sirène, d'un homme assis flanqué d'un chien, un buste d'homme barbu, une statue de femme nue, des bustes de Jules Grévy et de Marianne (les premières effigies de Marianne datent des années 1880, et Michaud fut l'un des tout premiers à en façonner, ce qui en fait de logiques Marianne "primitives"...) et divers autres décors ou inscriptions, le tout taillé dans le robuste granit de la région dans un style archaïsant à mi chemin de l'art brut et de l'art naïf.
 
 
 
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Buste de Jules Grévy (ci-dessous) 2ede5619837be2ce3f86f06b1be4cbd3.jpg
 
 
 
 
 
 
 
 
 
           Il existe un livre assez complet sur lui : L'oeuvre énigmatique de François Michaud à Masgot, de Jacques Meunier, Jacques Lagrange, Roland Nicoux, Pierre Urien, Bruno Montpied, Alain Freytet, Patrice Trapon, etc., aux éditions Lucien Souny (en vente à Masgot). Un petit musée est ouvert durant la belle saison dans le hameau qui se visite sans difficultés au coeur de la Creuse, région vallonée et forestière où l'on goûte une paix royale.  L'association des Amis de la Pierre, présidée par le maire de la commune, Alain Delprato, s'occupe d'animer et de surveiller le site (on y a même installé, alors que le hameau est plutôt restreint, un nouveau café).
 
7c69fdf85a0f002375188d4d4f01ff32.jpg  Photos B.Montpied